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Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville ;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon coeur ?
O bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un coeur qui s'ennuie
O le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce coeur qui s'écoeure.
Quoi ! Nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon coeur a tant de peine.
Paul VERLAINE, Romances sans paroles, 1874.
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Es-tu brune ou blonde ?
Sont-ils noirs ou bleus,
Tes yeux ?
Je n'en sais rien, mais j'aime leur clarté profonde,
Mais j'adore le désordre de tes cheveux.
Es-tu douce ou dure ?
Est-il sensible ou moqueur,
Ton coeur ?
Je n'en sais rien, mais je rends grâce à la nature
D'avoir fait de ton coeur mon maître et mon vainqueur.
Fidèle, infidèle ?
Qu'est-ce que ça fait,
Au fait,
Puisque, toujours dispose à couronner mon zèle,
Ta beauté sert de gage à mon plus cher souhait.
Paul VERLAINE, "Chansons pour elle", 1891.
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Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau, sur l'arbre qu'on voit,
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là,
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
-Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà
De ta jeunesse ?
Paul VERLAINE, Sagesse, 1881.
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Cythère
Un pavillon à claires-voies
Abrite doucement nos joies
Qu'éventent des rosiers amis ;
L'odeur des roses, faible, grâce
Au vent léger d'été qui passe,
Se mêle aux parfums qu'elle a mis ;
Comme ses yeux l'avaient promis
Son courage est grand et sa lèvre
Communique une exquise fièvre ;
Et, l'Amour comblant tout, hormis
La faim, sorbets et confitures
Nous préservent des courbatures.
Poème extrait des Fêtes galantes, 1869.
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La beauté
Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;
J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
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Ma Bohème Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées; Mon unique culotte avait un large trou. Et je les écoutais, assis au bord des routes, Où, rimant au milieu des ombres fantastiques, Arthur RIMBAUD |
Votre âme est un paysage choisi Que vont charmant masques et bergamasques Jouant du luth et dansant et quasi Tristes sous leurs déguisements fantasques. Tout en chantant sur le mode mineur Au calme clair de lune triste et beau, |