I - Des parties du corps humains : Ma vue se porta par hasard vers la table sur laquelle j'avais posé le pied de la princesse Hermonthis. Au lieu d'être immobile comme il convient à un pied embaumé depuis quatre mille ans, il s'agitait, se contractait et sautillait sur les papiers comme une grenouille effarée : on l'aurait cru en contact avec une pile voltaïque. J'entendais fort distinctement le bruit sec que produisait son petit talon, dur comme un sabot de gazelle. J'étais assez mécontent de mon acquisition, aimant les serre-papiers sédentaire et trouvant peu naturel de voir les pieds se promener sans jambes, et je commençais à éprouver quelque chose qui ressemblait fort à de la frayeur. Théophile GAUTIER, Le Pied de momie, 1840. _______________________________________________________________________________________ Mais, au milieu du plus large panneau, une chose étrange me tira l'oeil. Sur un carré de velours rouge, un objet noir se détachait. Je m'approchai : c'était une main, une main d'homme. Non pas une main de squelette, blanche et propre, mais une main noire desséchée, avec les ongles jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de sang pareil à une crasse, sur les os coupés net, comme d'un coup de hache, vers le milieu de l'avant-bras. Autour du poignet, une énorme chaîne de fer, rivée, soudée à ce membre malpropre, l'attachait au mur par un anneau assez fort pour tenir un éléphant en laisse. _____________________________________________________________________________________________ Et soudain, je me jetai en arrière en étouffant un cri d'épouvante. Une petite ombre véloce courait sur le store, l'ombre particulièrement hideuse d'une araignée gigantesque. Elle grimpait, descendait, courait de-ci de-là en des cercles rageurs, et soudain, s'élança hors de mon champ de vision... Ce fut la nuit où l'on trouva mon oncle Frans-Pieter Kwansuys égorgé dans son lit. _____________________________________________________________________________________ ______________________________________________________________________________ La tête dans : Alexandre DUMAS, Mille et un fantômes, Coll. 10/18, éditions U.G.E., 1974.
"Croyez-vous, Monsieur Ledru, demanda Jacquemin à demi voix, croyez-vous qu'une tête puisse parler, une fois séparée du corps ?" M. Ledru poussa une exclamation qui ressemblait à un cri, et pâlit visiblement. "Le croyez-vous ? dites, répéta Jacquemin". M. Ledru fit un effort. "Oui, dit-il, je le crois. - Eh bien ! ... eh bien ! ... elle a parlé. - Qui ? - La tête la .... tête de Jeanne. - Tu dis ? - Je dis qu'elle avait les yeux ouverts, je dis qu'elle a remué les lèvres. Je dis qu'elle m'a regardé. Je dis qu'en me regardant elle m'a appelé : Misérable !" _______________________________________________________________________________ II - Meubles, objets divers : Et voilà que j'aperçus tout à coup, sur le seuil de ma porte, un fauteuil, mon grand fauteuil de lecture, qui sortait en se dandinant. Il s'en alla par le jardin. D'autres le suivaient, ceux de mon salon, puis les canapés bas et se traînant comme des crocodiles sur leurs courtes pattes, puis toutes mes chaises, avec des bonds de chèvres, et les petits tabourets qui trottaient comme des lapins. Guy de MAUPASSANT, "Qui sait ?" (1890). ______________________________________________________________________________________________
Une nuit, le narrateur voit les personnages sortir du cadre de leur tableau... Tout à coup le feu prit un étrange degré d'activité ; une lueur blafarde illumina la chambre, et je vis clairement que ce que j'avais pris pour de vaines peintures était la réalité ; car les prunelles de ces êtres encadrés remuaient, scintillaient d'une façon singulière ; leurs lèvres s'ouvraient et se fermaient comme des lèvres de gens qui parlent, mais je n'entendais rien que le tic-tac de la pendule et le sifflement de la bise d'automne. Une terreur insurmontable s'empara de moi, mes cheveux se hérissèrent sur mon front, mes dents s'entre-choquèrent à se briser, une sueur froide inonda tout mon corps. La pendule sonna onze heures. Le vibrement du dernier coup retentit longtemps, et, lorsqu'il fut éteint tout à fait... Oh ! non, je n'ose pas dire ce qui arriva, personne ne me croirait, et l'on me prendrait pour un fou. Les bougies s'allumèrent toutes seules ; le soufflet, sans qu'aucun être visible lui imprimât le mouvement, se prit à souffler le feu, en râlant comme un vieillard asthmatique, pendant que les pincettes fourgonnaient dans les tisons et que la pelle relevait les cendres. Ensuite une cafetière se jeta en bas d'une table où elle était posée, et se dirigea, clopin-clopant, vers le foyer, où elle se plaça entre les tisons. Quelques instants après, les fauteuils commencèrent à s'ébranler, et, agitant leurs pieds tortillés d'une manière surprenante, vinrent se ranger autour de la cheminée. ________________________________________________________________________________________________ "Eh bien, monsieur, avez-vous choisi ?" Mais le peintre restait depuis un moment immobile devant un portrait dont le grand cadre, naguère somptueux, ne gardait plus que quelques traces de dorures. C'était un vieillard au visage desséché couleur de bronze, aux pommettes saillantes ; l'ont eût dit que ses traits avaient été fixés dans l'instant d'un mouvement convulsif, de sorte qu'ils respiraient une force étrangères aux contrées septentrionales : le midi ardent s'était imprimé en eux. Le vieillard était drapé dans un ample costume asiatique. Si endommagé et poussiéreux que fût le portrait, Tchartkov y vit la marque d'un grand peintre sitôt qu'il l'eut quelque peu nettoyé. Le tableau paraissait inachevé, mais la force du pinceau était stupéfiante. Les yeux, surtout, étaient extraordinaires : il semblait que le peintre y eût mis toute sa force et toute sa minutieuse application. Ces yeux jetaient un véritable regard, un regard qui sortait du portrait, rompant son harmonie par une sorte de vie singulière. Lorsque le peintre approcha le tableau de la porte, le regard de ces yeux devint encore plus intense. La foule en fut pareillement frappée. Une femme qui s'était arrêtée derrière le dos du peintre s'exclama "Il regarde, il regarde ! " et recula. Nicolas GOGOL, Le Portrait. ___________________________________________________________________________________________ III - La statue qui s'anime :
Date de création : 05/03/2008 @ 11:18
Dernière modification : 17/03/2008 @ 15:25
Catégorie : fantastique
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